Il était une fois un bol, chantant et heureux ; il apportait de la joie aux personnes qui croisaient son chemin. D'abord, récipient, il offrait l'eau, la vie, aux êtres qu'il rencontrait.
Parfois aussi, il accueillait d'autres choses : il se savait utile et aimait cette sensation d'apporter de la joie et de l'aide. Quelques fois, il devenait pot, objet de transport ou de décoration. Il savait illuminer l'endroit où il se trouvait. Parfois, dans la peine, il récoltait les larmes des gens et sa lueur apaisait leurs tourments.
D'années en années, accompagnant des trajectoires humaines, son voyage ne s'achevait point et il s'en délectait.
Mais un jour, au détour d'un banc de sable, il fut oublié sur une plage à côté de l'océan. Il resta là, seul.
De son reflet, il ne restait presque plus rien. Terni par le vent et les embruns, sa lueur lui échappait.
Beaucoup diraient : C'est la solitude, l'abandon. C'est parce qu'il a perdu un sens à son existence…
Non… Le bol était face à quelque chose qu'il ne pouvait contenir. Il était devant quelque chose qui le dépassait complètement ! Même les anciens n'avaient pu décrire avec précision cette immensité et elle se tenait là, maintenant, devant lui… Sans qu'il puisse avoir la moindre chance d’en contenir qu'une moitié, un tiers, un infime pourcentage. Le bol se sentait abattu, terrifié même, face à une chose si immense qu'elle se confondait avec le ciel.
Des jours, des semaines passèrent ainsi. Parfois subjugué par la beauté des couchers de soleil et parfois terrifié lorsque la marée montait et se rapprochait de lui.
Un être de lumière passa alors. Sentant la vibration du bol qui était dans un sale état, il décida de le laver dans l'océan. L'être prit soin du bol et le réconforta un peu. Sentant le renouveau arriver, le bol s'empressa d'être plus brillant, d'être plus propre. Il allait enfin redevenir utile.
Contre toute attente, l'être de lumière comprit… il prit le bol et le lança dans les profondeurs de l'océan. Le bol fut terrifié, le vol jusqu'au toucher de la surface de l'eau lui parut si bref et si long à la fois. C'était la fin, c'en était fini de son utilité et de sa raison d'être.
Brièvement posé sur la surface de l'océan, le bol flotta un instant, puis coula à pic.
On pourrait ici y voir une fin tragique : il n'en est rien.
Voyant la surface et son tumulte s'éloigner, le bol comprit… Il comprit qu'il pouvait ne pas être un simple récipient avec des limites et des utilités précises. Il était là, au fond de l'océan, plein, entouré, enveloppé de toute cette grandeur et cette puissance. Le bol lâcha prise et devient lui-même océan.
La Vie est ainsi faite, avec nos barrières, notre égo : nous sommes sur la plage à calculer nos trajectoires à avoir peur de vivre et de vibrer dans l'Amour.
Osons ce pas qui nous emporte et noyons-nous dans cette grandeur infinie qu'est l'Amour. Remplissons-nous, enveloppons-nous et soyons cet océan, soyons cet Amour.
Évidemment, nous aurons à subir les courants et la marée ; évidemment, parfois, nous sortirons de cet univers et nous serons à nouveau sur la plage… Échoués et sans doute tristes… Mais nous serons convaincus alors que nous avons baigné dans cet océan, que cet Amour était réel et qu'il n'attend que nous…
A l'humanité, pour qu'elle redevienne océan, pour qu'elle redevienne Amour.
Le Pèlerin
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